Pourquoi vous êtes déjà sociologues

L’idée centrale de cet article est de (dé)montrer comment, au quotidien, nous sommes toutes et tous sociologues de nos sociétés.

Au fil de vos terrains quotidiens 

N’avez-vous pas déjà fait, au moins une fois, l’expérience d’être subitement envoûté par des discussions se tenant dans l’espace public ?

Aujourd’hui, vous êtes installés dans un café, avec, pour le moment, aucun moyen de distraction : le téléphone ne sonne pas et vous êtes décidés à regarder ce qu’il se passe aux environs. Vous tendez l’oreille et, soudain, certains débats titillent votre curiosité ; vous vous concentrez sur les prochaines informations que les deux interlocuteurs vont débiter. Vous vous demandez s’il l’un d’entre eux -animé par le sujet-, paye réellement son logement si cher ? Décidément, avec l’inflation, tout a augmenté … Cela vous fait penser à votre panier de courses qui ne cesse de rétrécir alors que, votre ticket de caisse, quant à lui, prend un malin plaisir à s’amplifier sous vos yeux chaque mois qui passe. Oh et puis finalement, c’est peut-être cela de vivre dans une grande ville : ce serait pas mieux à la campagne ? 

Une scène du quotidien que l’on pourrait qualifier « d’anodine » est en fait le terrain idéal pour vous adonner à un début d’observations ethnographiques. Ceci grâce à l’attention que vous portez aux individus et à la conversation qu’ils entretiennent. (Van Zanten ; 1 : 2013) Votre cerveau analyse de manière instinctive les éléments du décor, les postures des personnes en débat. Vous pensez probablement que ces pensées ne sont qu’une partie infirme du flot infatigable de celles traversant votre esprit tout au long de votre journée ; elles peuvent en réalité représenter les prémisses de la formation d’une posture réflexive sur de nombreux sujets. Dans l’imaginaire collectif, il y aurait des êtres qui auraient le regard et l’empathie plus prononcé, en opposition à ceux qui n’en ont que faire des autres, sous -prétendu- fond d’individualisme exacerbé.

L’aventurier, le minimaliste d’aujourd’hui et évidemment, le sociologue, représenteraient alors pour l’opinion publique des personnalités plus enclines à cette dite formation de posture réflexive sur ce qui fait « l’autre » et « société ». Tout se passe comme si la population civile ne disposait pas de ces fameux outils et méthodes sociologiques pour observer, constater, analyser. Mais alors dans ce cas, quid de ceux qui font justement « structure » dans la société ; les conducteurs de train, les marchands, les maîtresses d’écoles ? Ceux qui sont, tous les jours, au contact de la foule et sont les plus grands spectateurs des relations éphémères ou vouées à durer ? Qu’en est-il des autres passagers du quotidien, qui déambulent au gré de leurs envies ?

La déambulation est tout un art : vous pensez vous perdre au sein des paysages qui vous sont tout autant familiers que synonymes de découvertes, alors que vous êtes justement et simplement en train de trouver. Comme l’explique l’anthropologue Alessia de biasse, vous pouvez vous arrêter un moment, vous asseoir ou bien encore « chercher un dedans et y prendre place », soit vous imprégner des sentiments des autres.  Comme dit précédemment, vous trouvez les éléments constitutifs du patrimoine architectural des endroits que vous foulez, avancez des plausibles justifications aux diverses interactions sociales qui se tiennent sous vos yeux, mais aussi face aux inégalités qui s’entremêlent dans la normalisation la plus totale.

Les étudiant.e.s en sciences humaines et sociales doivent apprendre à maîtriser ce type d’observation ainsi que « l’observation participante » ; méthode exigeant du temps et de l’investissement au chercheur. Celui-ci doit en effet rester une longue durée sur son terrain, au sein d’un groupe d’individus, afin de mieux cerner et décrire ses traits caractéristiques. La réalisation d’entretiens, l’analyse de données et leur restitution, l’écriture d’articles scientifiques : voici comment se construit le bagage du futur anthropologue et/ou sociologue. C’est alors que se tiennent devant ces jeunes les sphères associatives, humanitaires, scientifiques et ils doivent se faire une place dans ces différents microcosmes. Ces chemins initiatiques ne seraient-ils finalement pas les mêmes que ceux que vous arpentez ? Ne vous êtes vous pas toutes et tous déjà demandés, à un moment donné, qu’est-ce qui fait que nous vivons en société ? Quelle est l’origine des schémas la faisant vivre ? Nul vérité indéniable n’existe. En revanche, la production de connaissances et sa diffusion est belle et bien réelle et la modernité a comme effet principal une accélération d’accès à celle-ci.

Il n’est pas forcément nécessaire d’être scientifique pour tenter d’entrevoir les multi-facettes du monde, parfois il suffit juste de faire confiance à son instinct. 

Et si vous faisiez confiance au votre ? Si les chercheurs le peuvent, pourquoi pas vous ?

Observez, constatez, comprenez : vous êtes déjà sociologues. 

 Crédit photo : Shannon Zeitoun, Maroc. 

Tous droits réservés.

Bibliographie :

Van Zanten, « Ethnographie », in Paugam Serge (dir.), Les 100 mots de la sociologie, Paris, Presses universitaires de France, coll. « Que Sais-Je ? », p. 33-34.

De Biase Alessia, « Insistance urbaine. Ou comment aller à la rencontre des impondérables de la vie authentique », in ReDOBRA, n° 12, 2013, pp. 80-86. 

Tetreault Sylvia, « Observation participante (participative observation) », in Guide pratique de recherche en réadaptation, 2014, pp. 317-325. 

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