Intelligence Artificielle : avancées ou dangers ?
Tapons « Intelligence Artificielle » dans les actualités Google.
Comment est-elle présentée, voire valorisée ?
L’Intelligence Artificielle (IA) est considérée comme un système mystérieux qu’il faudrait décoder en se penchant sur le fonctionnement neuronal humain, comme l’invoque le spécialiste en la matière Yann le Cun, mais aussi comme un « changement civilisationnel que l’on a pas vu arriver » pour le chirurgien et écrivain Laurent Alexandre. L’IA est par là même une « arrivée qui n’épargne aucun domaine [...] et qui provoque des licenciements », même dans le secteur -improbable- des technologies. L’art et la musique, malgré leur caractère mystique et impalpable, n'y échappent pas non plus : ils pourraient être plus aisément élaborés grâce à l’IA. Tout amène à croire que cette mosaïque -en réalité infinie- d’articles récents sur cette dernière est représentative de la place qu’elle détient désormais dans de nombreuses, mais non pas moins distinctes, sphères sociétales françaises et internationales.
AVERTISSEMENT : La problématique originelle, « Avancées/dangers de l’Intelligence Artificielle » a été posée afin de tendre vers l’approfondissement d’un sujet, comme évoqué précédemment, fortement présent dans l’actualité. Cette formulation peut être comprise en termes d’IA qu’il faudrait placer dans la catégorie « opportunités » ou plutôt dans celle de « menaces » ; que nenni !
Selon l’expérience que je détiens de l’anthropologie et de la sociologie, j’argue qu’il est nécessaire d’évoquer, avant toute lecture possible, qu’il n’y aura aucune réponse fixe donnée, aucun « camp » choisi entre une IA que l’on pourrait considérer comme synonyme de progrès fulgurant ou comme miroir de potentielles dérives technologiques et/ou intellectuelles. Les éléments donnés dans cet article s'intègrent dans une démarche sociologique qui n’a pas l’ambition de réaliser la genèse de l’IA, ni d’en décrire tous les contours, mais plutôt de peindre une pensée résultante d’analyses personnelles et de recherches multiples. Pour ne pas enfermer la pensée, les écrits convoqués sont relatifs aux travaux de professionnels de divers domaines, comme des informaticiens ou des hommes politiques. Cela permet, somme toute, d’avoir plusieurs perspectives réflexives.
L’IA comme objet d’étude : entre complexité et utilité
En premier lieu, l’Intelligence Artificielle est un thème doté d’une grande complexité dans la mesure où, commençons par cela, son utilité est sujette à subjectivité. Elle peut, par exemple, avoir tout son intérêt dans des corps de métiers comme l'ingénierie, les sciences dures comme la physique mais aussi en santé. Le professeur de médecine Jean-Louis Touraine explique en effet que la rapidité de développement de l’IA dans la sphère sanitaire a été bénéfique pour des patient.e.s en termes de diagnostics ou bien encore de traitement, ainsi que de manière plus globale pour « la gestion du système de santé » (p. 1). L’ancien député français Cédric Villani va plus loin.
La grande prise en considération de l’IA est jugée, dans son texte intitulé « Les enjeux de l’IA pour la Défense de demain », comme une « nécessité » (p. 3) car le cas contraire reviendrait à positionner le système de Défense français en marge des adversaires qui la maîtrise et peuvent s’en servir pour leurs actions. Le renforcement de l’efficacité et de la sécurité des armées françaises est aussi évoqué, ainsi que la capacité de l’IA à représenter une assistance virtuelle au service des décisions et opérations humaines. Il est aussi souligné qu’elle peut être vectrice d’informations plus précises, plus sûres, plus fines. C’est justement cette idée d’un système virtuel d’intelligence fiable, présente dans l’opinion publique, mais aussi dans les médias, qui m’a suscité réflexion : les données ainsi que leur utilité apparaissent comme une évidence. Ceci surtout lorsque l’on sait qu’un site d’IA générative, comme ChatGPT, permet d’avoir accès en quelques secondes à un condensé d’information sur une question bien précise que tout à chacun peut lui poser.
L’exemple de ChatGPT
Gain de temps, synchronisation et condensation des informations, ChatGPT peut être un bel exemple de la représentation contemporaine de l’information : accessible, rapide, facile.
Si vous cherchez sur Google « est-ce que la betterave est un bon aliment pour la santé du foie ? », ce moteur de recherche vous donnera une liste de sites internet ayant répondu à cette question. Si vous la posez à ChatGPT, il vous donnera, juste par sa propre entité virtuelle, les mêmes éléments synthétisés mais en un seul et même jet. N’aurons-nous pas in fine un manque d’autonomie réflexif car, comment remettre en cause des informations qui sont données si rapidement ? Loin l’idée de contredire l’intérêt certain de ce dispositif, mais qu’en est-il des formes humaines de transmission de savoirs : des professeur.es, des formatrices/formateurs ? N’y aura-t-il pas, dans le temps, une dégradation de la reconnaissance des diffusions classiques de savoirs (oral et écrit) ?
À ce propos, le maître de conférences en philosophie Tyler Reigeluth appose que la frontière entre l’humain et la machine devient effectivement trouble, tant les deux entrent en relation de mimétisme. Nous n’avons de surcroît pas, -du moins pas aussi instantanément-, accès à la véracité des informations : d’où proviennent-elles exactement et sont-elles automatiquement vérifiées et attestées comme scientifiquement véridiques ? Il est fort à parier que ces questions trouveront réponse, une fois de plus, dans une recherche Google, mais ma démarche, comme mise en lumière en premières lignes de cet article, se veut être celle de la réflexion et non celle de la réponse figée du « oui » ou du « non ». Il est aussi à noter qu’il n’est pas évident de remettre en cause l’IA, au vue de cette dimension « magique » et « poudre aux yeux » qu’elle détient, totalement juxtaposable à ce qui fait l'essor de toute innovation. Elle finit, par sa croissance d’utilisation et de présence sur la scène médiatique, par s’imposer de façon certaine.
Sommes-nous vraiment libres de penser les formes d'institutions qui nous entourent ?
Pour aller plus loin sur ce dernier point, l’informaticien Jean-Gabriel Ganascia prend l’exemple parlant de la banque pour montrer comment nous remettons rarement en cause la croyance que nous avons en des institutions qui nous apparaissent, justement, comme d’une existence fondamentalement légitime tant elles sont ancrées à tort ou à raison dans nos vies. Il serait alors question de « disciplines instituées depuis longtemps [qui] s’imposent à tous, même si l’on ne saisit pas toujours le sens des propositions qu’elles émettent. » (p. 1) Il explique, par la même, qu’il serait difficile de demander à des scientifiques s’ils croient vraiment en leur domaine, surtout s'ils nous paraissent alambiqués et éloignés des nôtres. Yann Ferguson, spécialiste de l’IA, pose à juste titre la question de « qui prendra le risque de déconnecter la machine pour suivre son intuition ? Quel manager tolérera cette pratique quand les premières erreurs humaines, évitables par la machine, seront commises ? » (p.6)
Mais alors, est-on vraiment libre de refuser un mécanisme comme l’IA qui nous promet des compétences et une réactivité qui paraissent comme largement supérieures à celles humaines ? Quid du savoir humain et des techniques dont la circulation se fait aussi par un ensemble de dispositifs corporels, naturels ou choisis ?
Et vous, oseriez-vous remettre en cause l’IA?
Représente-elle un cheminement ou déjà une évidence dans vos sphères socio-professionnelles ?
Bibliographie à consulter en un clic :
https://www.cairn.info/revue-droit-sante-et-societe-2021-3-page-3.htm
https://www.cairn.info/revue-quaderni-2022-1.htm
https://www.cairn.info/revue-defense-nationale-2019-5.htm
https://www.cairn.info/intelligence-artificielle-vers-une-domination--9791031802138.htm
https://www.cairn.info/les-mutations-du-travail--9782348037498-page-23.htm
Crédit photo : réalisée par Shannon Zeitoun.
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