Le plaisir en association : l’exemple de l’ASBL Together

1.      Origine de l’étude et méthodologie

Vous êtes-vous déjà interrogé à propos des motivations qui amènent les individus à participer à une activité ? Actuellement, il est de plus en plus fréquent que des associations mettent en place des activités pour travailler avec leur public, aussi divers soit-il, mais la première séance d’initiation passée, quelles pourraient être les raisons pour que le public se réengage à nouveau dans l’activité en question ?

En effet, bon nombre d’associations sans but lucratif (ASBL), travaillant avec des publics divers, développent des myriades d’activités. Ceci toujours avec un ou des objectifs variés, qu’ils soient informatifs, thérapeutiques ou encore à visée d’insertion ou de réinsertion. Groupes de parole, conseils d’usagers, tennis de table, karaoké, peinture ou encore broderie ; telles sont les activités proposées par l’ASBL Together (2023).

L’article ci-présent entreprend de présenter les résultats d’une étude qualitative à propos de la participation des usagers, commanditée par l’ASBL Together, qui est une association d’usagers et d’anciens usagers éprouvant des troubles en matière de santé mentale. Cette ASBL, exerçant en Province de Liège (Belgique), a entre autres pour missions l’écoute et l’information des droits des usagers, et ceci dans un objectif de lutte contre l’isolement social.

L’objectif poursuivi par l’étude était de pouvoir comprendre, tant parmi les animateurs (bénévoles au sein de l’organisation) de ces activités participatives que les bénéficiaires, les dimensions du plaisir dans la participation. Pour ce faire, nous avons mené, en accord avec le président de l’association et son coordinateur, une série de focus groupe orientés autour des thématiques du plaisir (Vermeersch, 2003) et de la participation (Goffman, 1974 ; 1991). Ces séances, enregistrées, furent ensuite analysées, et c’est au travers d’une analyse thématique (Muchielli & Paillé, 2022) que des résultats ont pu émerger. Avant d’aborder en détail quelques pans de résultats érigés, il convient de faire un détour plus précis sur le public Together.

2.      Résultats

S’il fut mentionné que le public est issu du secteur de la santé mentale, il convient cependant de souligner que c’est en grande partie lié à des trajectoires de vie comportant divers épisodes de « décrochages sociaux » : accidents de la route, incapacité répétée liée au lieu de travail, stress quotidien, diagnostic en errance ou mauvais diagnostic, etc. Ainsi, une grande majorité des personnes fréquentant l’ASBL a d’abord effectué un séjour dans un centre de réadaptation fonctionnelle (CRF). Dès lors, si en sortant d’un de ces centres le public a inévitablement gagné en autonomie, en habilité sociale et émotionnelle, il n’empêche qu’au niveau de leur propre estime, en arrivant dans l’ASBL Together, une cassure subsiste entre le « soi » » et ce qu’ils exigent de leur « soi » (Pierre A., 2023 citant Goffman 1963, p.18). Parmi cette mésestime initiale les greffant au cœur et au corps, les activités participatives, par les mises en relation et la force intégratrice du groupe, ainsi que des bénéfices s’y rattachant, vont jouer un rôle considérable dans cette conquête d’un « soi »  nouveau et plus fort.

2.1 L’activité participative comme lieu de sociabilités

Toute activité participative implique une contribution de chacun de façon que les individus se coordonnent pour travailler ensemble à un objectif commun (Charles, 2016). D’ailleurs, c’est dans cette conjugaison entre le personnel et le collectif que les liens entre les personnes participantes à l’activité produisent des effets sur l’expérience contributrice du participant. Ainsi, l’activité permet aux usagers de se rencontrer, de partager une expérience commune, et c’est de cette rencontre que le plaisir émerge.

Elizabeth[1] (usagère): Donc j'avais déjà fait du dessin il y a huit ans ici. Et puis, comme ça ne correspondait plus à mes objectifs, je me suis inscrite à l'atelier de Brigitte où J'ai découvert la broderie que j'aime énormément et donc ça me permet de rencontrer des gens formidables, d'avoir des pâtisseries gratuites (rires) que je fais moi-même et de me découvrir des capacités que j'ignorais.

Georges (usager) : On va essayer d'abord d'avoir la régularité et le sport, je veux dire pouvoir avoir des contacts avec ses collègues...Nous sommes une bonne équipe, nous sommes soudés, nous sommes ensemble au sein de Together. Je veux dire il y a vraiment une bonne amitié entre nous.

Marie-Cécile (usagère): Alors moi, ce que j'aime particulièrement, c'est de sortir de chez moi pour faire quelque chose, parce que ça fait longtemps que je ne travaille plus, et que moi les restrictions Corona ont fait que je restais dans mon petit cocon et que je ne bougeais plus de mon petit cocon.

Ces extraits nous apprennent qu’en dépit des différences concernant les raisons de venir, ce sont notamment les liens de sociabilité tissés lors de l’activité qui suscitent et alimentent le plaisir. Cependant, il semble qu’un prérequis soit nécessaire :que le sentiment de sécurité soit forgé. De ce fait, comme le rappelle Goffman, l’aisance d’un individu s’observe par sa maitrise des obligations et attentes du cadre de l’activité dans laquelle il se situe et où il est amené à interagir avec autrui (1974, p.47). Cela signifie qu’en sus de comprendre les règles du jeu qui l’incombent, il parait nécessaire également qu’il se repère par l’observation et la compréhension du comportement des personnes avec qui il interagit dans le groupe, et donc qu’il se sente en sécurité pour éprouver du plaisir à participer.

2.2. Le groupe de participants : un cercle protecteur et un repère socialisateur

Il est apparu également qu’une ambiance de qualité dans le groupe est importante pour que le plaisir surgisse et s’entretienne, notamment par le rôle de l’animateur qui peut influer à ce niveau.En effet, l’animateur est considéré comme une personne garantissant le cadre de l’activité, mais aussi comme un  dépositaire de savoir, ce qui fait de lui un acteur décisif pour qu’un participant se sente assez à l’aise pour s’impliquer dans l’activité :

Murielle (animatrice): Je suis là pour donner des conseils aux gens s'ils en ont besoin. S'ils ont une question ou il faut une technique, je suis là pour les soutenir, et cetera. Mais je suis plus là pour eux aussi, pour eux, pour que tout se passe dans la bienveillance, que tout se passe pour un but d'ailleurs. Au départ, j'avais et j'avais fait une charte que tout le monde avait signée, donc bien avant le comité, je dirais que tout le monde devait signer et dedans était vraiment stipulé tous, tout, tout, tout ce dont les gens s'engageaient à faire ou ne pas faire en participant à l'atelier, c'est à dire la plus utile, pas de Jugement pas de, pas de paroles vulgaires, pas de vulgarité, pas de politique, pas de religion. Pour garder à mon avis une harmonie, je vais dire, dans le groupe.

De ce fait, comme nous l’observons, l’animateur occupe des rôles enchâssés (Cefai, 2012, p.156), mais qui poursuivent une même finalité : que le participant s’implique personnellement dans l’activité, tout en respectant les autres, et qu’il accroisse ses connaissances. In fine, nous pouvons constater qu’outre de permettre à l’individu de contribuer avec aisance et d’enrichir son apprentissage, l’animateur entreprend également de veiller au mieux à ce qu’une harmonie soit présente dans le groupe, par des approches variées qui permettent d’alimenter un plaisir se voulant le plus continu et diffus. Par ailleurs, ces conduites déployées par l’animateur et transmises indirectement aux usagers, si elles permettent de mettre à l’aise, renforcent aussi un sentiment de sécurité qui a un effet également en dehors de l’instant « t » de l’activité :

Virginie (usagère) : Ce qu’il y a c’est que Manon, c’est quelqu'un qui est bienveillant et ça se ressent directement dans le groupe du lundi, quand on est tous très nombreux. Il y a des gens qui sont plus jeunes et qui ont l'air beaucoup plus nerveux. (…) Mais le fait que Manon soit là, et qu’une espèce de respect s’installe…. Je ne sais pas depuis combien de temps ils se connaissent mais il y a un espace de respect et ils se tiennent bien.

En effet, ce sentiment de sécurité, entretenu par des interactions chaleureuses teintées d’une bienveillance diffuse cultivant une réciprocité inter-participant,semble fortifier le plaisir de revenir à l’activité pour des raisons complémentaires du contenu qui plaît, car l’individu sait qu’une ambiance relationnelle plaisante l’attend. En somme, le plaisir n’émane donc pas que du contenu de l’activité en tant que tel mais bien d’une évaluation positive du bénéfice pluriel lié à la contribution à l’activité :

Jacques (usager) : Pour moi, c'est un atelier classique avec des personnes, entre guillemets, "normaux". C'est pas quelque chose...Je me sens pas de venir dans un truc psychologique machin, non, pour moi c'est un club avec des personnes tout à fait normales, et c'est ça qui est agréable.

Virginie (usagère) : Quand on est ensemble, en plus de l'émulation il y a l'entraide. Et le tout dans la bienveillance, naturellement.

Emmanuelle (usagère) : Et voilà, on avance et on fait des trucs qu'on imaginait pas comme,  comme dire de plus en plus qu'on ne s'imaginait pas pouvoir faire.

3. Conclusion : l’activité participative, un lieu œuvrant à la conquête d’un  « soi » nouveau et plus fort par l’intermédiaire d’un cercle protecteur

De ce fait, nous voyons au fil des témoignages, que la sensation d’une expérience agréable, l’émulation, l’entraide, se voir progresser, sont autant d’expériences évaluées comme positives qui remplissent de satisfaction les participants au regard de leur contribution, garantie notamment par l’animateur de l’activité, se posant comme gardien de l’harmonie du groupe. Fort de ce fait, cela invite à penser le groupe de l’activité participative comme un cercle protecteur (Goffman, 1963, p.42) au sein duquel la réalisation de soi est possible, et qui se constitue également en un point de repère socialisateur qui alimente le désir d’y revenir avec enthousiasme.

N'oublions cependant pas de mentionner que la constitution d’un tel groupe n’est pas gratuite et dépourvue d’un intérêt puisque la raison même de son existence étant de poursuivre une finalité explicite, à savoir que l’usager apprenne une diversité de savoirs connectés à l’activité participative, ce qui implique nécessairement un apprentissage. Cependant, le participant n’apprend pas uniquement à « participer » : fort des connaissances plurielles qui se transmettent au travers des échanges dans ces cercles protecteurs, il se fortifie, et aspire à devenir le sujet de son histoire, l’acteur de sa propre élévation.

Auteurs : Vincent La Paglia (chercheur, centre FoRS, Belgique), Cataldo Anzalone ( coordinateur de ASBL Together), Jean-Marc Bienkowski (Président de l’ASBL Together)

Crédit photographie : ATD Quart Monde, 2021 pat Freepik.

[1] Afin de garantir la confidentialité des échanges avec les personnes interrogées, tous les noms mentionnés dans l’article sont des pseudonymes.

Bibliographie :

Charles, J. (2016). La Participation en actes. Entreprise, ville, association. Desclée de Brouwer.

Cefaï, D., & Perreau, L. (2012). Comment analyser une situation selon le dernier Goffman. Dans Cefaï, D., &Gardella, É. (dirss.), Erving Goffman et l’ordre de l’interaction , (pp. 233-265). CURAPP.   

Goffman, E., (1991).  Les Cadres de l’expérience. Éditions de Minuit.

Goffman, E. (1974). Les rites de l’interaction. Editions de Minuit.

Goffman, E. (1963 ; 1975). Stigmate : les usages sociaux des handicaps. Editions de Minuit.

Pierre A. (2023). Identité sociale & handicap : lorsque les cadres sociaux  et attentes normatives influent les trajectoires. Dans « Edith. Histoire des savoirs ». Vol., 7./2023. Haute Ecole Libre Mosane.

Together ASBL (2023). Together ASBL. Récupéré sur : https://www.together-asbl.be/

VermeerschS.(2013).Quefaireduplaisirensociologie:l’exempledel’engagementbénévole.Dans:Cahiersdelarecherchesurl'éducationetlessavoirs,n°12/2013.

Précédent
Précédent

Parlons santé mentale

Suivant
Suivant

De la Colombie à la France : étudier en sciences humaines et sociales