Parlons santé mentale

À l’occasion de la Journée mondiale de la santé mentale, le média de sciences humaines et sociales SocioLinspire a interviewé Eva Helena Amegboh, consultante indépendante en violences basées sur le genre en Côte d’Ivoire.

SHANNON : Pouvez-vous vous présenter ?

EVA : Je m’appelle Eva Helena Amegboh et je suis Consultante indépendante en violences basées sur le genre. En tant que personne vivant avec un stress post-traumatique, je me suis fixée pour objectif de défendre les victimes de traumatismes en leur fournissant des informations relatives à sa gestion, en partageant des histoires et des points de vue pour sensibiliser et réduire la stigmatisation. Je souhaite surtout m’engager à établir des contacts et des relations avec des psychologues ainsi que des psychothérapeutes pour mieux référencer les personnes en détresse qui ont besoin de s’exprimer.

SHANNON : Comment pouvez-vous expliquer ce qu’est le « stress post-traumatique » ?

EVA : Le stress post-traumatique c’est ce qui arrive alors que vous étiez en train de planifier votre vie, soit un état de détresse permanent qui survint à la suite d’un événement traumatique comme un meurtre, un kidnapping, une guerre civile, un viol, une agression, une catastrophe naturelle. Si je devais résumer en un extrait vidéo ce qu’est que le stress post-traumatique pour une survivante de violence sexuelle par exemple, je te présenterai l’œuvre Excavation de l’artiste William Cobbing https://www.facebook.com/theartspotlight/videos/william-cobbing-excavation-2004williamcobbing-williamcobbing/2296115920648375/.

C’est une vidéo de 58 secondes où l’on voit une personne essayant de détruire à l’aide d’un marteau une couche de béton dans laquelle sa tête est emprisonnée, mais malgré tous les stratagèmes et les idées pour se libérer, rien n’y fait ; il tourne en rond, il revient toujours à la case départ.

SHANNON : Lors de nos échanges, vous m’aviez fait part des stigmatisations pouvant exister autour des problèmes de santé mentale, comme le « stress post-traumatique » qui est central dans cet article. Quelles préconisations pourriez-vous donner pour lutter contre les préjugés et les jugements négatifs ?

EVA : Les violences sexuelles sont les violences qui ont les plus graves conséquences psycho-traumatiques. L'influence de la stigmatisation sur la résilience des femmes victimes et survivantes de violences sexuelles en Afrique demeure un perpétuel défi à la fois communautaire, national et international. Le poids du christianisme, des croyances populaires africaines et les superstitions restent tenaces : beaucoup sont ceux qui perçoivent un stress post-traumatique comme un sparadrap, un pansement recouvrant une plaie qui a déjà cicatrisé et que l’on peut retirer à tout moment.

Par exemple, dans mon pays la Côte d’Ivoire, tu as des hommes qui te justifient des actes de viols par des propos comme « Il avait des sentiments pour toi mais il ne savait pas comment l’exprimer où il n’a pas eu le cran de te le dire en face ! » ou des hommes de loi qui banaliseront le crime en lançant à une victime « Tu n’es pas vierge n’est-ce pas !? Relativise, vois cela comme un rapport sexuel normal ! Tu as connu des hommes dans ta vie non !? ».

Au quotidien, pour moi qui travaille sur la perception des violences psychologiques et émotionnelles dans ma communauté, j’ai appris à utiliser des métaphores pour lutter contre les jugements négatifs que j’entends çà et là. Ceci surtout lorsque je dois définir le traumatisme pour une victime de viol à un groupe d’individus durant un groupe de parole ; je leur fais comprendre ce que cela signifie d’« être victime », les tenants et les aboutissants de ce que d’autres individus peuvent leur dire. 

J’ai eu à assister ses trois précédentes années des psychologues et psychothérapeutes pour l’organisation de groupe de parole. J’estime que c’est l’une des méthodes les plus concrètes pour lutter contre les préjugés et les jugements négatifs à l’endroit des victimes et survivantes.

L’avantage y est à cinq niveau :

  • Elles sont éduquées et renseignées sur la gestion du traumatisme dans un cadre sain et sécurisé

  • Elles prennent conscience de leurs attitudes et de leurs comportements

  • Elles arrivent à remettre en question les préjugés, renforcés par l’éducation et la société africaine

  • Elles se remettent en question sur la façon de parler et comment elle peut influer sur les attitudes des autres

  • Elles s’offrent soutien et encouragement  

SHANNON : Quelles sont les stratégies et les ressources qui peuvent être déployées par un individu pour surmonter ce stress ?

EVA : Guérir d’un stress post-traumatique prend du temps : il faut être très  patient avec soi-même pour surmonter au mieux son traumatisme et le stress qui en découle. Voici quelques stratégies et ressources que je pourrai partager pour les avoir moi-même expérimenté : 

  • Trouver un psychologue ou un psychothérapeute qui pourra vous aidez à comprendre et à gérer vos émotions dans un premier temps. Référez-vous à des organisations non-gouvernementales qui offrent des sessions gratuites de thérapie ou appelez les lignes vertes misent en place par le gouvernement de votre pays pour être recommandé à une structure précise.

    En Côte d’Ivoire, vous pouvez appeler le 13 08 ou vous rendre dans le complexe socio-éducatif de votre commune pour échanger avec un travailleur social ou un psychologue. Il y a également l’organisation PsyTrotter qui est un cabinet virtuel Ivoirien de promotion de la psychologie, de consultation en ligne et de thérapies de soutien.

  • Apprendre davantage sur la gestion du stress post-traumatique est essentiel pour mieux comprendre vos émotions, le manque d’enthousiasme, ce chagrin pathologique qui vous déconnecte du monde extérieur et vous fait vous replier sur vous-même.

  • Pratiquer l’auto-soin, c’est-à-dire trouver des techniques qui vous procure du bien, de la quiétude qui vous permette de vous détendre. Cela peut inclure le yoga, un spa, un weekend à la mer ou au bord d’un lac, du bénévolat, des sessions de câlins avec ceux que vous aimez notamment vos proches, vos enfants.

  • Rejoindre un cercle de parole ou groupe de parole dans votre commune, votre ville pour vous connecter avec des personnes qui traversent et surmontent les mêmes défis que vous au quotidien. Cela vous permettra d’apprendre des processus de guérison des autres et vous soutenir mutuellement avec beaucoup d’empathie.

  • Si certains propos, gestes, lieux et personnes peuvent faire ressurgir votre trauma, évitez ses situations autant que possible. Ne vous sentez jamais obligé de faire des choses qui vous causeront du stress, de l’anxiété.

SHANNON : Quelle importance le soutien social peut-il avoir dans ce processus de guérison ?

EVA : Le soutien social et l’entraide jouent un rôle essentiel dans le processus de guérison d’une personne vivant avec un stress post-traumatique. Personnellement, c’est l’écoute empathique qui m’a aidé à comprendre et à travailler sur ce sentiment d’isolement et de chagrin pathologique. J’ai privilégié mes interactions avec des personnes de confiance pouvant m’aider à m’apaiser dès que j’ai des crises d’angoisses ou des flash-back de mon trauma. L’avantage était que ses moments d’interactions empathiques ont renforcé ma volonté de vouloir aller mieux, restaurer un tant soit peu une faible confiance en soi au rythme de ma guérison. J’ai bénéficié d’un soutien thérapeutique et accompagnement professionnel. Ma psychiatre m’a aidé à identifier et utiliser les ressources disponibles pour me reconstruire psychologiquement. Ma famille, mon entourage m’ont plus encouragé à m’exprimer émotionnellement lorsqu’il y avait des moments durs sans me retenir. Cela renforçait en moi le sentiment d’être écouté et comprise. En trois ans d’expérience,je peux recommander dans mon pays des organisations tel que :

  • Psytrotterqui est un cabinet virtuel Ivoirien de promotion de la psychologie, de consultation en ligne et de thérapies de soutien fondé par le psychothérapeute Nour Bakayoko https://www.psytrotter.com/

  • l’ONG ActionsPsy CI qui a pour mission d’offrir un accompagnement psychologique aux populations qui ont été exposées à des situations traumatiqueshttps://www.facebook.com/ActionPsyCI/

SHANNON : Quels sont les défis liés à l’accès aux soins de santé mentale ? Quelles améliorations peuvent selon vous être apportées aux services pour garantir un accès équitable et abordable aux traitements ?

En Côte d’Ivoire, l’accès aux soins de santé mentale présente de nombreux obstacles qui limitent la disponibilité et l'accessibilité des traitements aux personnes à faibles revenu.

Certains de ces défis comprennent :

  • Les coûts élevés des consultations chez un psychologue pouvant aller de 25 000 F CFA à 30 000 F CFA ou plus et qui ne sont toujours pas couvertes par les assurances santé.

  • Les barrières religieuses et culturelles : il faut beaucoup sensibiliser et éduquer les membres de la communauté au fait qu’ils peuvent rechercher du soutien social auprès de leurs guides religieux (mères spirituelles, pères spirituels) mais ceux-ci ne doivent pas remplacer les prises en charge thérapeutiques professionnelles d’un psychologue. Je pense que le soutien spirituel doit être utilisé en complément des approches thérapeutiques, pour renforcer le processus de guérison.

Pour garantir un accès abordable et équitable aux traitements, plusieurs améliorations peuvent être apportées, qui comprennent : 

  • L'expansion de l'assurance santé mentale : il est important que les compagnies d'assurance santé couvrent les consultations chez les psychologues et les thérapeutes, afin que le coût ne soit pas un obstacle à l'accès aux soins

  • Les services de télépsychologie : l'utilisation de la technologie pour fournir des services de thérapie en ligne peut augmenter l'accessibilité des soins, en particulier pour les personnes vivant ayant des difficultés de mobilité ou encore sous le choc.

  • La création d’un concept de retraite pour les survivants de stress post-traumatique le temps d’une semaine où ils peuvent se sentir alléger de la charge mentale et détresse émotionnelle afin de se procurer une parenthèse de bien-être pour se reconstruire à son rythme. 

Car finalement c’est ça qu’il faut retenir : la nécessité de se reconstruire à son rythme.

Interview réalisée par Shannon Zeitoun, fondatrice du média SocioLinspire

Crédit photographie : Eva AMEGBOH

Suivant
Suivant

Le plaisir en association : l’exemple de l’ASBL Together