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L’autorité dans la société moderne : prémices et pouvoirs multiformes

Qu’est-ce que l’autorité ? 

       Étymologiquement, le terme « autorité » trouve son origine du verbe latin « augeo[1] » (augmenter) signifiant « rendre plus grand[2] », adjoindre une chose à une autre déjà existante pour la rendre plus considérable. Cette acception peut être mise en relation avec la définition Wébérienne de l’autorité, apparaissant comme une augmentation du pouvoir. Une différenciation doit toutefois être réalisée entre les deux. Ce dernier peut être détenu sans avoir l’autorité tout comme il peut y avoir possession du pouvoir légal sans celle de la légitimité, ce fossé complexe se présentant dès l’entrée dans la modernité et se creusant exponentiellement dans nos sociétés actuelles.

       L’exercice du pouvoir doit être autorisé selon le principe de l’autorité posé par Weber, autorité disposant en théorie de vertus aussi bien individuelles que sociales selon le sens moderne de surcroît conféré par Simmel, de l’autorité comme production interindividuelle[3]. En effet, l’être humain serait par essence dévoué et en connexion avec les autres membres de la société ; ces faits constituant ainsi ses fondements. L’individu est alors naturellement doté d’autorité, fruit d’une construction édifiée grâce à la conduite d’interaction avec autrui. La garantie d’une unité préservée entre les différentes personnes se réalise alors par l’ordre social, soit le procédé de création, de fabrication et de maintien du lien social opéré par la société. Les conceptions grecques et romaines font reposer l’autorité sur la transcendance, notion importée par Platon, délivrant alors la légitimité permettant l’autorisation de l’autorité.

Le rôle de la modernité dans la relation autorité/pouvoir

       Cette transcendance provenant originellement du cosmos a été substituée par une forme singulière relative à la modernité qui est celle de l’État. A contrario, le monde de la modernité balaye la transcendance reposant sur la croyance, le pouvoir devenant une affaire humaine et la politique l’exercice de son activité. Selon Weber, le monde est alors sujet à une mouvance perpétuelle sous fond de relativisme, où la subjectivité devient reine et où les valeurs sont polythéistes. L’autorité ne s’exempte pas de toute forme de transcendance mais est trouvée par l’État qui va alors l’incarner, mais qui n’arriverait pas à réparer l’instabilité de la situation relative aux sociétés modernes. L’autorité représente le droit concédé à certains individus de devenir des entités majeures dans les processus décisionnels, aux noms d’autres, d’avoir la possibilité de commandement et les autres êtres le devoir d’obéissance.

        Des limites apparaissent dans cette définition de l’autorité dans la mesure où elle vient en rupture avec le principe d’égalité et crée un obstacle à la liberté, pierres angulaires de la démocratie. L’autorité va alors s’avérer être problématique en démocratie car, selon la définition d’Aristote, cette première est relative au droit de commander octroyé par certains et par la contrainte d’autres à obéir. Les pouvoirs étant alors inégaux en ce sens, l’autorité constitue une entrave à la liberté, la démocratie venant alors contraindre l’autorité à se réaliser. De fait, celle-ci n’est pas donnée par essence mais est de l’ordre du dialogue, de l’interaction et de la négociation, dans un régime porteur de valeurs fortes aussi synonymes de mode de vie particulier. 

Parole et démocratie

     Le passage à la modernité est aussi celui d’un changement de nature de l’autorité, qui va devenir processuelle et non plus substantielle. En effet, la démocratie étant fondée sur l’égalité, le mode d’autorité devra être réglé et se légitimer au sein des relations entres les hommes, dont chacun doit manifester de l’acceptation. Pour prouver l’autorité au sein de nos sociétés actuelles, il doit s’effectuer un schéma de donation d’arguments d’un individu, devant lui-même reconnaître la valeur de son interlocuteur.rice, et réciproquement. Les Grecs sont les premiers à faire de la parole le cœur de l’exercice démocratique, où l’autorité se place alors entre « l’usage de le force pure et de l’argumentation[4] ». La parole est toujours de mise mais sans relation référentielle aux règles relatives à l’argumentation dite « rationnelle[5] ». Il n’y a donc pas de recours à la violence physique ou morale, à la manipulation.

       Aujourd’hui, sur les réseaux sociaux –entre autres-, n’y a-t-il pas « trop » de liberté de la parole menant à une violence verbale virtuelle mettant à mal la parole dans ses traits originels, menant de surcroît à l’effet inverse attendu de la liberté ? En effet, qui n’a jamais entendu le très vrai supposé qu’« aujourd’hui, on ne peut plus rien dire[6] » sans choquer, sans outrager. Faut-il tristement en conclure que la modernité a fait de la parole une arme dont les balles peuvent être lancées, sans aucune autorité particulière, et faisant alors d’elle un « vice » de la modernité tant son utilisation constante et permanente par et pour tous devient sujette à polémique plutôt qu’échange ? Les vertus du dialogue, conférant à l’autorité sa légitimité, ont-ils été transmutés en préceptes pervers où l’expression de point de vue ne devient qu’une invitation à la brutalité verbale ?

 

Les transformations de l’autorité à l’ère moderne

       Si la parole était centrale au fondement et à l’ordre social de toute politique, nécessitant une forme structurelle[7] favorisant l’expression égale -en partie réalisable grâce à l’utilisation de procédés rhétoriques particuliers-, l’égalité n’est aujourd’hui défendue qu’en apparence. Par exemple, nous pouvons évoquer le « principe d’équité[8] » (temps de parole dans les médias pendant et pour les élections politiques) qui est très démocratique dans l’idée mais n’est clairement pas suffisant pour redorer le blason de l’échange dans sa forme originale. Il en est de même  pour les réseaux sociaux : la parole écrite peut détenir force de vérité si elle est utilisée par certaines personnes plutôt que d’autres. Tout porte à croire que l’autorité serait alors conférée à tout à chacun en contexte moderne et mise au service de toutes causes, morales ou non, dans une passivité voulue et entretenue de risque de dérives, de manipulations évidentes. Ceci s’affirme dans la mesure où il ne suffit plus d’avoir un bagage rhétorique suffisant pour prendre la parole. Dans le cadre de la parole juxtaposée à l’autorité, cela renvoie normalement à la prise en compte de l’autre, à la communication, adages parfois détournés en joutes verbales enfermées idéologiquement sans regard authentique posé sur l’autre.

     Même si l’État a pu être considéré comme une solution pour régler les problèmes posés par l’individu par le passage d’un contrat social[9] effectué entre les hommes, il n’en reste que l’ère de l’autonomisation s’étant ouverte et en accroissement dans la modernité complexifie l’exercice de l’autorité pour l’État, alors caractérisé par une espèce de semi-transcendance. Les autonomies individuelles seraient en effet au premier plan tant les sociétés modernes seraient composées d’individus aux caractéristiques plurielles et où l’autorité a du mal à se faire valoir, sujette à suspicion, associée à la violence voire même à de l’autoritarisme de par le lien fait avec la logique chrétienne (par la crainte). L’autorité devient alors violence et contrainte, soit l’autoritarisme.  

     Parmi les valeurs de la démocratie, l’individualisme met à mal les remparts de l’ordre social, dont l’autorité ; celle-ci ne se révèle alors pas suffisante pour le maintenir, malgré sa légitimité. Même s’il expose que la démocratie permet une grande liberté, Tocqueville met tout de même en exergue les dommages de cette carence en autorité, reposant d’avantage sur le pouvoir politique que sur l’autorité sociale. Il y aurait de plus une perversité découlant de cette liberté individuelle, s’étant in fine transformée en individualisme et donc en perte d’intérêt pour ce qui touche à la sphère collective. Le non-absolutisme de l’autorité est alors garanti par cet équilibre entre un arbitrage d’une grande complexité entre la liberté/l’autonomie à titre individuel d’une part, et de l’autre part le contrôle social ainsi que le pouvoir politique. De surcroît, cette liberté accrue suppose que la contrainte est de moins en moins supportée. 

Vers une crise de l’autorité ?

      Il est intéressant de noter qu’Étienne de La Boétie invoque que l’autorité, même si elle est souvent remise en cause, est un besoin et que l’homme a plus de facilité à s’y plonger par confort qu’aller vers la différence et l’anticonformisme. Se poserait alors la question de savoir si, à force, les individus perdraient de leurs capacités à élaborer une posture réflexive en se positionnant dans les prérogatives données par des figures détentrices du pouvoir. Ceci allant de fait qu’ils n’arriveraient plus à réaliser de choix rationnels mais surtout critiques sans la « menace » pesante d’une sanction par l’autorité en question. Notre société parcourt le chemin du dissensus, teintée par la conflictualité quotidienne dans les sphères sociales et démocratiques. Si la solution répressive n’est pas envisageable en démocratie, ne prenant pas en compte les conditions d’acceptation de l’autorité, il a toute fois été affirmé que les  sociétés modernes traversent une crise de l’autorité.

     Selon Jean-Claude Ruano-Borbalan[11], il y a en effet une perte de capacité d’autorité par des figures originellement en mesure de la réaliser, comme le représentant de l’État (échelle macro) ou bien même un père de famille (échelle micro). La légitimité de leur pouvoir, découlant à l’origine d’une autorité relative à leur statut, s’expliquerait par une transformation aux multiples facettes de la société, comme l’accroissement de la consommation, par exemple. Ces transformations se sont accompagnées par ce qui a pu être décrit comme « une révolution des mœurs » que l’on peut caractériser, selon Yannick Lemel et Olivier Galland, par deux mots : « permissivité et individualisme [12] ». Notre société connaîtrait alors une crise d’autorité, ayant pu être aussi décrite par comme une « crise de la temporalité[13] », soit une rupture avec la tradition,  ainsi qu’ « une force déterminante de l’avenir {s’étant} effondrée[14] ». Cette crise touche alors aussi bien la sphère familiale, que scolaire, que judiciaire. Dans les trois cas, nous revenons à ce lien étroit avec la violence, qu’elle soit « fantasmée et/ou médiatisée car c’est {sa montée} supposée qui {provoquerait} la nostalgie d’une autorité réputée disparue[15] ». L’avenir n’est alors plus synonyme d’horizon où l’accomplissement de nos actions serait pensé aussi naturellement qu’avant. Reste à voir quelles seront les nouvelles formes d’autorité allant émerger dans les prochaines années et quels en seront les effets sur le lien social, à savoir si les générations futures sont vraiment soumises à un monde beaucoup moins bien qu’« avant ».

 


Bibliographie :

[1] François Galichet, FG. (14/03/2007). L’autorité dans la société d’aujourd’hui Quelle légitimité et quels modes d’exercice ? [Conférence]. Conférence Journée d’étude IPLS, Wissembourg. http://philogalichet.fr/wp-content/uploads/2011/10/Lautorit%C3%A9.pdf, p.1.

[2] L’intégralité des sens communs relatifs au terme latin « augeo » est consultable à l’adresse suivante : http://www.dicolatin.com/FR/LAK/0/AUGEO/index.htm

[3] WATIER Patrick, DEROCHE-GURCEL Lyliane. La Sociologie de Georg Simmel (1908) - Eléments actuels de modélisation sociale,  France, PUF, 2002, 281 pages.  

[4] Ibid., François Galichet, p.2.

[5] op.cit., p.2.

[6] Daniel Schneidermann, DS. (2019, 17 Novembre). « On ne peut plus rien dire », une expression passée au crible. Libération. https://www.liberation.fr/debats/2019/11/17/on-ne-peut-plus-rien-dire-une-expression-passee-au-crible_1763925

[7] BOURRICAUT, François. Esquisse d’une théorie de l’autorité, France, Paris, Librairie Plon, 1961, 442 pages.

[8] Robin Andraca, RA. (2020, 6 Mars). Le temps de parole des candidats dans les médias est-il décompté pendant les municipales ? Libération. https://www.liberation.fr/checknews/2020/03/06/le-temps-de-parole-des-candidats-dans-les-medias-est-il-decompte-pendant-les-municipales_1780796

[9] Le premier a avoir théorisé le contrat social est Machiavel, suivi de penseurs comme Hobbes ou bien Rousseau.

[10] MILGRAM, Stanley. Soumission à l’autorité : Un point de vue expérimental, France, Calmann-Lévy, 1994, 270 pages.

[11]Jean-Claude Ruano-Borbalan, J-C R-B. (2001, Juin). Des sociétés sans autorité ? Sciences Humaines. https://www.scienceshumaines.com/des-societes-sans-autorite_fr_1409.html

[12] Ibid., ces explications proviennent du même article que cité précédemment et la citation est extraite de la page unique constituant celui-ci.

[13] REVAULT D’ALLONES, Myriam. « L'autorité des modernes », Les Sciences de l'éducation - Pour l'Ère nouvelle, 2009/3 (Vol. 42), p. 13-31. DOI : 10.3917/lsdle.423.0013. URL : https://www.cairn.info/revue-les-sciences-de-l-education-pour-l-ere-nouvelle-2009-3-page-13.htm,    p. 2.

[14] Ibid., p.2.

[15] op.cit., François Galichet, p.2.